Voici l’interview d’un syndicaliste de la société de nettoyage ISS réalisé par deux camarades du groupe Action des ALR.
Celui-ci revient pour nous sur les raisons de leur grève victorieuse au mois de mars.
Histoire de la sous-traitance du nettoyage à l’ULB
Avant, c’était le personnel de l’ULB qui faisait le nettoyage. Mais fin des années 70 la privatisation commence. L’ULB commence à sous-traité.
C’est dans ce contexte que je travaille au début avec Adiclean. C’était un modèle de partenariat établit avec la complicité de responsables de l’ULB.
Il y avait une trentaine de travailleurs qui faisaient un peu de tout. Il n’y avait pas de respect de la législation, pas de conventions, rien: « tu mets ton tablier et tu travailles! ». On était payé selon le barème du nettoyage mais on faisait un peu de tout: manutention, peinture, poubelles, grand nettoyage, machines… pour le même prix. Nous devions aller chercher notre salaire au siège de l’entreprise, après nos heures de travail et on faisait la file par tous les temps. Nous étions en 1994.
Organisation d’une délégation syndicale : « La confiance s’installe entre nous »
Je me suis donc affilié au syndicat et nous avons organisé les élections sociales en 1996: une première pour une société de nettoyage engagée par l’ULB. On avait l’impression de venir d’une autre planète, car les travailleurs ne savaient pas ce qu’était ces élections, beaucoup n’étaient pas syndiqués.
L’installation de la délégation a été importante pour faire face aux patrons de la société de nettoyage qui étaient complices avec des responsables de l’ULB. C’est cela le problème de la sous-traitance. On soupçonne qu’il y avait des enveloppes, des pots-de-vin…car c’est difficile de croire que les responsables du nettoyage de l’ ULB ferment les yeux gratuitement.
Tu n’as pas qu’un patron en face de toi mais deux : tu as ton patron et des responsables de l’ULB. Tu as donc deux problèmes. Quand il n’y avait pas de sous-traitance, c’était de l’argent de l’ULB qui payait les travailleurs. C’est tout.
Au début pour faire des réunions syndicales on allait dans un café car, si on la faisait à l’ULB, les responsables du nettoyage nous envoyaient des brigadiers ! Avant nous ne pouvions pas parler ni avec des professeurs, ni avec des étudiants. Dans ce climat, les travailleurs avaient peur de parler sur leur lieu de travail. Au niveau des conditions de travail, il n’y avait pas vêtements de travail, rien. Avec le syndicat j’ai appris ce qu’était une Convention Collective de Travail (CCT), les différents droits des travailleurs… Dans cette société, certain travaillait plus de 10h par jour, sans toujours être payé pour les heures supplémentaires, il y avait du travail au noir et une importante surcharge de travail. Les gens venaient malade au travail, il n’y avait pas de congé de maladie.
Un problème central c’était être payé correctement. On a fait une pétition pour avoir deux acomptes, le 23 et le 7 du mois, comme dans toutes les sociétés. Mais avant cela n’existait pas, on allait chercher notre chèque après plusieurs semaines. La réaction a été immédiate: « Qu’est-ce que c’est que cela? Il fait de la politique avec cette pétition! Ne l’écoutez pas… » Mais, après que l’inspection du travail soit venue et obligé l’entreprise à nous payer les acomptes, le moral des travailleurs est remonté, la confiance s’est installée entre nous.
Nous étions de différentes nationalités et la chef jouait sur ces divisions: » tu sais ce que les italiens ont dit sur vous… ». On a surmonté cela en se réunissant à l’extérieur. Petit à petit, j’ai gagné la confiance des ouvriers, car je vis aussi la même situation de travail, le même harcèlement qu’eux.
Solidarité entre travailleurs du sous traitant et sous-traité
Petit à petit, pour faire face au problème de sous-traitance, j’ai pris contact avec des militants syndicaux du personnel de l’ULB et j’ai appris beaucoup de choses d’eux. On a commencé à monter des dossiers. Par exemple, des travailleurs faisaient des travaux chez les responsables de la société; il y avait – à l’ULB -, du harcèlement moral, du harcèlement sexuel. Avec Gauche Syndicale, et avec une professeure, on a déposé les dossiers et ils ont fait une grande enquête.
Les magouilles ont continué jusqu’en 2013, date où l’on a dénoncé un responsable de l’ULB qui travaillait pour Adiclean sans jamais venir à l ‘ULB! De plus, il prenait des travailleurs d’Adiclean pour faire des travaux privés! L’ULB a donné une rupture de confiance à la société pour que cela n’explose pas. Pourtant, d’après leur propre calcul, Adiclean n’a pas presté pour un million d’euros durant l’année 2012. C’est de l’argent de l’ULB qu’ils ont pris, en faisant crever les travailleurs du nettoyage.
ISS reprend le chantier de nettoyage de l’ULB en 2014. Ils ont engagé, c’est vrai, plus de travailleurs.
Nous avons fait des élections sociales pour réélire une délégation en 2016. Car, il faut savoir qu’il n’y a pas, dans les sociétés de nettoyage d’élections sociales. C’est un accord entre les syndicats et les directions. Il y a des délégués qui restent donc longtemps et souvent lors des élections obligatoires pour les CPPT et les CE, ce sont les permanents qui font les listes. Moi, c’est mon avis, je ne trouve pas cela normal.
Les luttes se multiplient contre ISS : conditions déplorables et harcèlement
Les travailleurs d’une société sous-traitante ont droit au même nombre de congés extra-légaux que les travailleurs du donneur d’ordre. Donc, on a droit, chez ISS, au même nombre de jours que les travailleurs de l’ULB. Quand nous étions chez Adiclean, avec l’aide de syndicalistes de l’ULB, on avait bien étudié ces conventions et les responsables avaient été obligés de payer une prime sous forme d’eco-chèque à chaque travailleur pour compenser le non-paiement de ces jours. On avait été même trop gentil à l’époque.
Avec ISS, dès le deuxième mois, la responsable n’a pas voulu payer les jours de congés extra légaux. On a contacté nos camarades de la délégation du personnel de l’ULB qui ont fait pression pour qu’ISS respecte le cahier des charges et donc les législations. C’est cela l’avantage d’avoir des contacts avec les travailleurs de la société cliente.
Il y avait aussi une surcharge de travail dans la société, une mauvaise organisation. Au niveau du matériel, ils étaient plus radins qu’une petite société comme Adiclean alors qu’ISS est une multinationale qui fait des énormes bénéfices! Ils font beaucoup d’économies, même pour les torchons!
On a fait notre premier piquet de grève en octobre 2015 pour dénoncer cette situation avec l’aide des syndicats de l’ULB et quelques étudiants. On a gagné le remplacement des travailleurs après 24h d’absence, ce qui n’existait pas avant. On a aussi créé deux groupes de travail. Un pour inspecter le chantier d’ISS à l’ULB. On a trouvé pas mal d’irrégularités dans les contrats et on a obtenu des CDI. Bien que la FGTB n’avait pas fait la grève avec nous, on les a associés au deuxième groupe de travail créé pour faire le tour des bâtiments et évaluer la surcharge de travail.
La grève suivante à eu lieu le 19 mai, pendant le troisième jour des élections sociales 2016, car il y avait toujours une surcharge de travail, une mauvaise organisation, de la discrimination de la part des chefs d’équipes et des brigadiers de l’ULB. Il y a des brigadiers qui nous harcèlent et contrôlent notre travail. Des collègues subissaient du harcèlement à un tel point qu’ils ne voulaient pas revenir travailler, pas revenir « en enfer ». Beaucoup prennent des tranquillisants, ils ont peur quand ils entendent un responsable rentrer dans la pièce quand ils prennent leur service. Donc on à fait un piquet de grève pour dénoncer cette situation.
Toute cette situation, c’est vraiment le fruit amer de la privatisation. Avant il y avait des travailleurs de l’ULB qui assuraient le nettoyage. Cela se passait bien, c’était propre.
Dernière grève : ras-le-bol contre « le fruit amer de la privatisation »
Depuis qu’ISS est à l’ULB, il n’y a que des problèmes. Récemment on n’avait pas de produits. Avec ISS, on travaille comme des magiciens, seulement avec de l’eau ! H₂0 et c’est tout! Pas de produits, des torchons troués… Il y a même une chef d’équipe qui a répondu à une collègue qui ne trouvait pas un voile pour passer son balai sur le parquet: « tu n’as qu’à utiliser ta culotte ou un T-shirt! » On a dénoncé cela au CPPT. Ils n’arrêtent pas de faire des économies sur les produits, sur le matériel. Il y a souvent des problèmes de non-paiement de jours de salaire.
Bref, après avoir dénoncé tout cela en délégation d’ISS et au CPPT, nous avons obtenu un préavis de grève des permanents FGTB et CSC. Dès le premier jour de grève, on nous dit qu’on fait juste grève pour les 2 jours extra-légaux non-payés. Mais non ! C’est aussi pour tous les problèmes… Finalement on n’a pas laissé la négociation se faire juste sur ces deux jours.
Notre position était la suivante: » vous nous payez les 2 jours extra-légaux et, en plus, on, va s’asseoir et vous allez vous engager par écrit à améliorer les conditions de travail. Tant qu’on n’a pas d’accord écrit, le piquet ne va pas être levé! » Finalement, ils se sont engagés à payer.
Et qu’avez vous gagné?
Economiquement parlant on a perdu 3 jours, nos jours de grève. Les deux jours extra-légaux, c’est à nous, on y a droit. Ils se sont engagés à respecter un calendrier pour améliorer les conditions de travail. Bref, avoir un équipement normal, des nouveaux vêtements de travail, refaire les plannings : qu’on puisse faire notre travail dans de bonnes conditions. Le minimum quoi !
Mais pour moi, comme syndicaliste, même si on a perdu un peu d’argent, on a gagné beaucoup de choses: la confiance des travailleurs, la dignité des travailleurs. Les travailleurs lèvent la tête, ils forment un collectif. De plus on a gagné la solidarité des militants et des syndicalistes de l’ULB, d’étudiants, d’autres syndicalistes de l’extérieur, comme vous. Bref, on à eu plus de soutien que les grèves précédentes. On a vu que le troisième jour, notre grève à fait mal à l’ULB: les poubelles remplies, les toilettes qui débordent…
J’espère qu’on va pouvoir continuer avec cet esprit collectif et donner l’exemple à d’autres.
Et maintenant ?
On va faire attention à ce qu’ils respectent les accords. Au début les travailleurs voient d’abord leur intérêt, et c’était difficile de partir en grève car ils avaient peur de perdre de l’argent. Mais maintenant qu’on a fait grève et qu’on a gagné, c’est plus facile pour repartir en grève.
On sait que ce n’est pas nous les sauvages qui bloquent l’entrée du bâtiment, mais plutôt ISS qui nous font travailler dans ces conditions. C’est eux les sauvages.
En général, je pense qu’il faut continuer à se mettre ensemble et bien étudier la situation de la lutte.
La lutte contre les patrons est mondiale et il faut être vigilant quand ils attaquent le syndicat. Il faut réveiller nos camarades pour obtenir un changement et avancer dans un monde meilleur, car ils sont – les patrons – aussi en train de détruire la planète.