A l’attention de Monsieur Frank Vandenbroucke, Vice-Premier ministre et ministre des Affaires sociales et de la Santé publique.
Monsieur le Ministre,
Concerne : prise en compte urgente de la situation du personnel des services de santé
Vous êtes largement témoin des difficultés que vivent les professionnels des services de santé ces derniers mois. Le malaise qui s’exprimait déjà en 2019 a été largement renforcé par la pression mise sur ce secteur dans le cadre de la gestion de la pandémie.
Nous avions tous espéré que l’Accord social de 2020 et le Fonds Blouses Blanches auraient permis de briser le cercle vicieux en améliorant la tenabilité de ces professions (rétention), et leur attractivité pour les jeunes et les adultes. C’est dans cet esprit que les organisations syndicales ont travaillé sans relâche depuis des mois.
Mais aujourd’hui, nous devons bien constater que d’autres acteurs ont continué à défendre des points de vue partiaux mettant à mal les efforts et les budgets déployés.
Ainsi, certains ont cru bon de dénigrer le nouveau modèle salarial comme ne répondant pas à la nécessité de revaloriser les soignants, alors qu’une part énorme du budget produit des augmentations salariales substantielles pour une proportion très importante de cette catégorie de personnel.
La pénurie, due autant au manque d’attractivité qu’à la fuite du personnel vers le temps partiel ou d’autres horizons professionnels (quand ce n’est pas vers l’incapacité de travail), touche déjà les normes de base, et empêche aujourd’hui d’engager du personnel infirmier supplémentaire dans le cadre du Fonds Blouses Blanches. Les réticences de certaines directions des départements infirmiers à faire preuve de créativité via l’embauche de personnel de soutien freine régulièrement la réalisation optimale des objectifs de ce Fonds. Nous pensons que la multidisciplinarité doit, plus encore aujourd’hui qu’hier, être une source de solutions pour réduire la charge de travail et assurer des soins de qualité. De même, inciter les temps partiels à augmenter leurs prestations tout en répondant à leur volonté de conciliation vie privée/ vie professionnelle doit être une priorité.
Nous avons bien dû constater que les fédérations d’employeurs, loin d’être conscients de l’enjeu actuel, ont continué et continuent à tenir des positions de négociation totalement orientées par la situation financière des institutions. Nous avons donc dû signer certaines conventions collectives (qui trainaient depuis 2017) qui contiennent des clauses totalement contreproductives ou trop limitées pour produire un impact réel sur ces enjeux. Nous avons tardivement entamé les négociations sur l’affectation des 100 millions € affectés par l’Accord social de 2020 à la conclusion de conventions visant l’amélioration des conditions de travail de l’ensemble du personnel des soins de santé du Fédéral. Pour le budget de 2021, nous avons marqué notre accord pour l’affecter dans une logique d’investissement à moyen terme sur les conditions de travail, dans la formation de futurs collègues. A partir de 2022, un accord doit intervenir en janvier du côté privé, et le secteur public entame des négociations.
Nous avons appris par la presse que vous avez décidé, après un silence de plusieurs mois et sans réponse à nos propositions techniques, d’affecter 43 millions € à des primes pour les infirmiers spécialisés. A ce stade, nous ne pouvons pas certifier que la mesure, telle que décidée par vous, ne va pas mettre en péril le modèle salarial. Mais bien pire, votre cabinet nous annonce qu’une part de ce budget vient des 100 millions € réservés aux conditions de travail de l’ensemble du personnel.
Lors d’une réunion du groupe de travail « attractivité infirmière » enfin convoquée après trois mois d’attente malgré un secteur en crise et en pénurie, votre cabinet nous apprend son intention de confisquer le reste des 100 millions € pour les conclusions de ce groupe de travail. Ce serait donc au personnel lui-même de laisser tomber des améliorations des conditions de travail convenues avec le gouvernement dans l’Accord social pour financer un plan de lutte contre la pénurie infirmière.
Dans le même temps, une « taskforce formation infirmière» intergouvernementale, dont les organisations syndicales sont exclues, travaille d’arrache-pied à un nouveau modèle professionnel visant la masterisation de la profession et l’exclusion des formations de niveau 5 de la profession infirmière, les reléguant dans un rôle d’auxiliaire. A ce stade, nous n’osons croire que le ministre de la santé est prêt à prendre le risque de créer un tel tsunami dans de nombreuses unités et services de santé, synonyme de pénurie aggravée et de continuité infirmière menacée. De même, si un budget d’une ampleur telle que nécessaire pour porter un tel projet existait, il nous semblerait très utile de l’affecter à une amélioration des normes d’encadrement dans tous les types de services.
Ces derniers rebondissements viennent renforcer le sentiment de dénigrement, de manque de considération, de stigmatisation, .. . perçu par le personnel soignant suite à votre volonté d’édicter une loi d’interdiction professionnelle pour les seuls professionnels de santé visés par un agrément et non vaccinés. Cette annonce a eu un effet totalement contreproductif puisqu’il a eu tendance, au-delà d’un clivage croissant au sein des équipes, à coaliser les anti-vaccin (ultraminoritaires) et les anti-obligation vaccinale pour les seuls soignants. L’absence totale de concertation avec les organisations syndicales sectorielles a en outre été ressentie comme du mépris de votre part. Enfin, nous ne pouvons que répéter le risque que vous prenez en « faisant le pari que les récalcitrants iront se faire vacciner par peur de perdre leur emploi » (sic). La notion de schéma vaccinal complet amène à penser que le nombre de refus va augmenter au fur et à mesure du nombre de rappels imposés. Le système ne peut pas supporter l’exclusion de ne serait-ce que 5% du personnel déjà surmené.
Nous vous demandons instamment de prendre en considération ces différents éléments. Nous restons disponibles pour tenter de définir ensemble une stratégie basée sur des mesures d’urgence et des perspectives à moyen et long terme. Mais nous devons pouvoir compter, pour poursuivre ce travail, sur le retrait du projet de loi dans sa logique actuelle, d’une part, et sur la mise à disposition d’un budget indépendant pour un plan de tenabilité et d ‘attractivité du personnel infirmier, laissant ainsi sauf le budget de 100 millions € dédicacé à la concertation sur les conditions de travail de l’ensemble du personnel.
A défaut d’une réaction que nous espérons positive à ce courrier, nous nous devrons d’envisager d’autres mesures.
Nous vous prions de recevoir, Monsieur le Ministre, l’assurance de notre haute considération.
Nathalie LIONNET, Secrétaire fédérale, SETCa Non-Marchand
Yves HELLENDORFF, Secrétaire national, CNE
Eric DUBOIS, Secrétaire national, CGSLB-ACLVB
Muriel DI MARTINELLI, Secrétaire Fédérale, CGSP-ACOD
Véronique SABEL, Secrétaire Nationale, CSC Services publics
Brigitte COLIN, Présidente Nationale a.i., SLFP-VSOA
Jan Piet BAUWENS, Ondervorzitter Federale sectoren, BBTK – ABVV
Mark SELLESLACH, Algemeen coördinator, ACV PULS
Gert VANHEES, Diensthoofd dienst sectoren, ACLVB – CGSLB