Voici un retour de la participation de deux camarades de la CGSP-ALR à la rencontre organisée à Lille par le syndicat Solidaire avec Herbert Carlos, responsable des relations internationales du syndicat brésilien CSP-Conlutas, ce 1er février.
Bolsonaro a surpris tout le monde, mais n’est pas arrivé par hasard
L’élection de Jair Bolsonaro à la présidence du Brésil a surpris toute la gauche brésilienne. La question est maintenant de savoir pourquoi c’est arrivé, qu’est-ce que personne n’a vu…
Jair Bolsonaro est un parlementaire d’extrême droite qui était peu connu. Ce n’était pas une personnalité comme Marine Le Pen en France. Son parti soutenait même Lula quand il était président.
Il faut savoir qu’au Brésil il n’existe pas de parti d’extrême droite, mais des groupes néofascistes. Et le danger, c’est qu’ils s’organisent encore un peu plus sous Bolsonaro.
Les deux facteurs de l’arrivée au pouvoir de ce président sont, d’une part l’approfondissement de la crise économique et sociale depuis de nombreuses années et, d’autre part, les scandales de corruption.
La crise économique engendre la violence
Pour bien comprendre comment la crise a pu toucher les travailleurs, il faut connaitre les conséquences des mesures du Parti des Travailleurs (PT) qui était au pouvoir au Brésil. Pendant les premiers mandats du PT, il y a eu une croissance des exportations des matières premières, qui sont un des piliers de l’économie brésilienne.
Dans ce cadre, le PT a pris des mesures qui permettaient d’emprunter plus facilement pour acheter une maison (« Ma maison , ma vie ») ou de s’inscrire à l’université (« pro uni ») ou plus largement le crédit à la consommation. La loi a été modifiée pour que, même sans deuxième salaire, des gros emprunts soient possibles. Mais, quand la crise économique s’est intensifiée, beaucoup de travailleurs n’ont pas pu rembourser et les banques ont directement pris à la source, sur le salaire des travailleurs. Ainsi, depuis la crise économique de 2007 et surtout ces dernières années, la crise augmente, mais les moyens pour vivre diminuent …
Au Brésil il y a un taux de chômage de 25% et le salaire minimum est de 253 euros, ce que gagne 70% de la population. La violence a augmenté, avec un taux d’homicide de 30% supérieur à celui de l’Union Européenne. En 2017, il y a eu 63.880 homicides dont 58% des victimes sont des jeunes. Ces 10 dernières années, il y a eu 500 mille morts violentes au Brésil.
Un jeune noir n’a que très peu de chance de trouver un emploi, mais il peut gagner jusqu’à 300 dollars par mois s’il vend de la drogue.
Tous ces éléments pour bien comprendre que le discours sécuritaire d’un candidat comme Bolsonaro parle aux travailleurs, victimes de cette violence. Et, pour eux, le responsable de cette situation est le PT, aux affaires depuis longtemps.
La corruption et la crise politique
La corruption n’est pas nouvelle. Elle remonte à la colonisation portugaise. Elle était courante sous l dictature. Cette corruption a été mise en avant par les scandales qui ont touché le PT, mais c’est important de dire que quasi tous les partis sont impliqués. Seuls 4 partis sur 35 ne sont pas impliqués: le PSTU, le PSOL, le PC et le PcdoB.
L’organisation de la coupe du monde et des jeux Olympiques a été remplie de corruption dans l’attribution des chantiers gigantesques et nombreux. En effet, de nombreuses infrastructures, comme des métros, ont dû être construites. Un bon exemple est le nouveau stade de Sao Paulo qui a couté trois fois plus cher que prévu!
Des entreprises de construction civile comme Odebrecht, impliquées dans cette corruption immobilière ont financé la campagne des deux grands partis , le PT et le PMDB (parti traditionnel néolibéral). Le PT s’est allié aux autres partis et est impliqué dans cette corruption.
Un autre élément est que pour la construction de toutes ces infrastructures, plusieurs communautés ont été expulsées de leur terre.
Enfin, lors de l’explosion des manifestations en 2013 contre le prix du transport public, le PT était au pouvoir. Et c’est dans ce contexte que la droite a avancé contre le PT. Bolsonaro a petit à petit été mis en avant sur les réseaux sociaux. Mais sa victoire s’explique par cette double crise économique et politique. Comme en Belgique, le vote est obligatoire et pourtant à ces élections 1/3 de la population n’a pas été voté ou a voté nul.
Les premiers pas de Bolsonaro
Une de ses premières mesures a été de transférer la Fondation Nationale de l’Indien vers le ministère de l’agriculture, ce dernier étant aux mains des grands propriétaires terriens, ce qui fait peser une grande menace sur les terres indigènes, car l’intérêt du secteur de l’agrobusiness est bien sûr opposé à la protection de l’environnement et des populations locales. Actuellement les grands propriétaires utilisent des mercenaires pour former des milices qui envahissent les terres des populations indigènes.
Mais Bolsonaro a aussi supprimé des ministères comme celui des sports et du travail. Supprimer le ministère du Travail, c’est réaliser le rêve de tous les patrons, car il supprime les inspections du travail!
Au niveau international il est, comme Trump, sorti du traité d’immigration alors que le Brésil compte plus d’émigrés que de d’immigrants. Il a aussi, comme Trump, décidé le transfert de l’ambassade du Brésil en Israël vers Jérusalem. Alors qu’au Brésil, la petite communauté juive n’est pas sioniste et qu’1/5 de l’exportation de viande est destinée au pays du Moyen-Orient.
Les défis et l’organisation de la résistance
Le gouvernement va avancer dans la privatisation de la poste, des aéroports, de l’électricité, de la compagnie nationale de pétrole (PETROBRAS), dans la vente de la compagnie nationale d’aviation (AMBRAER) à Boeing déjà initié sous les gouvernements du PT.
Toutes ces mesures sont un défi pour le mouvement syndical et populaire. Il va falloir s’unir pour affronter la droite dans la rue, car c’est là que nous devons l’affronter, pas au parlement.
Le mouvement des femmes au Brésil
Avec l’élection de Bolsonaro, un mouvement de femmes inédit et sans précédent est né au Brésil: #ELE NAO ! (Pas lui). C’est le mouvement le plus grand contre la politique actuelle au Brésil qui appelait à ne pas voter pour Jair Bolsonaro. Il faut savoir que sans le vote des femmes, il serait passé au premier tour. Ce mouvement a popularisé le féminisme au Brésil. Et ce mouvement n’est pas resté sur internet, il a mobilisé 4 millions de femmes dans plus de 114 villes au Brésil!
Il y également une conscience du rôle du PT dans la situation actuelle. Ainsi le vote du second tour était contre Bolsonaro, en votant pour son adversaire du PT, mais ce vote n’était pas pro-PT. Le fait qu’un tiers des votes ont été nuls est clairement une pression des femmes dans cette élection.
C’est très important, car le Brésil est un pays où les droits des femmes sont peu respectés. C’est le 5ème pays avec le plus haut taux de féminicides, le premier pays quand à la mortalité des personnes LGBT et 45% des femmes vivent sous le seuil de pauvreté. Au nord-est du Brésil, l’avortement est un crime, de même que la pilule contraceptive, et dans certaines villes du pays, il n’y a pas moyen d’avoir accès à la pilule.
Un autre exemple de violence : il existe au Brésil ce qu’on appelle la bourse à la natalité, c’est une allocation donnée à la femme victime d’un viol si elle poursuit sa grossesse.
Pour le 8 mars, il y a une grande mobilisation. Il y a des réunions d’organisation dans les quartiers, dans les écoles et les syndicats s’emparent de la mobilisation également.
Les femmes sont le secteur qui est le plus disposé à lutter contre Bolsonaro et ce mouvement est nouveau et spontané, un peu comme celui des Gilets jaunes en France.
Un débat très riche
Il a été question de la situation actuelle des luttes au Brésil et de la répression qui devrait être plus forte avec Bolsonaro. Lors d’une récente mobilisation, la police a dégagé violemment un sit-in pacifique d’étudiants et c’est évident que la police militaire se sent plus libre pour réprimer violemment. Cependant la répression existait déjà sous les gouvernements du PT, qui laissait faire l’armement de milices pour expulser les paysans sans terre par exemple. Mais actuellement il n’y a pas de milice fasciste pour casser les piquets de grève par exemple.
Un camarade belge ayant milité contre la dictature fasciste au Brésil a été amnistié récemment et cette mesure a été annulée par le gouvernement du PT de Dilma, ce qui montre que la répression n’est pas nouvelle. Même chose avec l’autorisation d’utiliser des snipers pour abattre des trafiquants.
Un autre point de discussion a été la relation des travailleurs avec le PT. Lula est actuellement en prison pour corruption, et l’ex-président n’a pas résisté à son arrestation. Alors même que des militants voulaient le défendre, ils se sont battus avec le service d’ordre du PT. Pour beaucoup de travailleurs, ne pas se défendre est en soi un aveu de culpabilité, qui s’ajoute au dégout de la corruption sous sa présidence. Le message est clair: le PT tolère la mise en prison de son leader et respecte le système juridique du pays.
Solidarité internationale
Enfin, dans un contexte d’attaque sur les droits de notre classe au niveau international, c’est important de pouvoir avoir des contacts internationaux et être solidaires. La CSP Conlutas a par exemple fait un rassemblement devant l’ambassade de France lors de la grève générale du 5 février. C’est important de développer cette solidarité internationale, car cela nous rend plus forts. Au Brésil les camarades auront besoin de notre soutien lors des mobilisations à venir contre le gouvernement de Jair Bolsonaro.